Husserl. Troisieme Colloque philosophique de Royaumont (23-30 avril 1957)

221 Pages·1959·68.155 MB·French

by  M.-A. Béra (ed.)

CAHIERS DB ROYAUMONT
PHILOSOPHIE N° ÜI
OUVRAGE PUBLIÉ AVEC LE CONCOURS
DU CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SClENTIFIQ,UE
LES ÉDITIONS DE AllNUIT

HUSSERL
CAHIERS DE ROYAUMONT
PHILOSOPHIE N° III
USSERL
IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE
DIX EXEMPLAIRES SUR
ALFAMA, NUMÉROTÉS DE
1 A 10, PLUS TROIS EXEMPLAIRES
HORS COMMERCE, NUMÉROTÉS
DE H-C. 1 A H-C. 3
1959 by LES ÉDITIONS DE MINUIT,
7, rue Bernard-Palissy - Paris VI".
Tous droits réservés pour tous pays. LES ÉDITIONS DE MINUIT
AVANT-PROPOS
Ce volume, comme les deux précédents Cahiers de
Royaumont, est le reflet fidèle d'un Colloque qui s'est tenu
à l'Abbaye, sous les auspices du Cercle Culturel, du 23 au
30 avril 1957. D'initiative privée, comme les deux premières,
cette rencontre bénéficiait de l'appui du Ministère des
Affaires Etrangères et du Ministère de l'Education Nationale,
et des conseils d'un Comité présidé par le Directeur général
dé l'Enseignement supérieur, M. Gaston Berger, dont on lira
l'allocution de bienvenue. La publication du volume a été
rendue possible, cette fois encore, grâce à l'appui du Centre
National de la Recherche Scientifique.
L'établissement du texte des conférences ne présentait
pas dé difficultés, puisque chacun des participants avait reçu,
le jour de son arrivée, un dossier complet des exposés, dans
une traduction qui a pu être revue sur place, et mise aa
point d'un commun accord entre les auteurs et les traduc
téurs. Nous tenons à remercier MM. Goldmann, Orsini,
Patronnier de Gandillac, ainsi que le R. P. Léger et le
R. P. Van Breda qui nous ont apporté leur précieux concours
pour la traduction des textes allemands et italiens. Ce travail
à lui seul justifiait la rencontre, puisqu'il a permis de préciser
ou d'établir la concordance des termes utilisés dans les textes
français, allemands, ou anglais avec la tradition authentique
de la pensée husserlienne.
Les discussions se sont déroulées en trois langues, et
elles ont été intégralement enregistrées au magnétophone,
ainsi que les excellents résumés en français donnés par le
R. P. Van Breda. Tous les participants qui intervenaient
dans la discussion étaient invités à remettre, en fin de séance,
une fiche d'intervention détaillée. Certains ont poussé la
courtoisie jusqu'à rédiger leur texte pour nous faciliter la
tâche, et ceux qui n'ont pas pu intervenir en séance ont eu.
également la possibilité de nous envoyer une note rédigée,
que l'on trouvera intégrée dans la discussion. Le texte des
interventions dans chaque discussion a enfin été soumis,
toutes les fois qu'ils en ont exprimé le vœu, aux auteurs des
conférences, qui ont eu la possibilité de revoir leurs réponses
et de les regrouper. L'ensemble, mis au point avec l'aide
preczeuse de M"' Tiff eneau, a été relu a Louvain, par le
R. P. Van Breda et ses collaborateurs immédiats, parmi les
quels nous voulons remercier tout particulièrement M. et
Mm• Boehm.
Nous regrettons de ne pouvoir inclure dans ce volume TROISIEME COLLOQUE PHILOSOPHIQUE
le texte de M. Gadamer, que ce dernier a préféré se réserver DE ROYAUMONT
de reprendre pour une étude qu'il prépare sur Husserl.
Par contre, nous sommes heureux de publier le texte de ('2,3 au 30 avril 195 7)
M. Merlan, empêché de venir au dernier moment, et celui de
M. Banfi que l'auteur a pu revoir avant sa mort: nous sommes
heureux d'associer ainsi la mémoire de ce philosophe a celle L'ŒUVRE ET LA PENSEE DE HUSSERL
d'un des maîtres de sa pensée, et de le joindre à ce colloque
où il aurait tant voulu participer.
Ainsi, depuis la première idée du Colloque, en octobre HORAIRES DES COMMUNICATIONS ET DES DISCUSSIONS
1956, à l{refeld, jusqu'à ce jour, ce volume est le fruit d'une
collaboration internationale on ne peut plus cordiale, qui
s'étend de Harvard à Varsovie et d'Amsterdam à Milan. ll MARDI 23 AVRIL :
marque une étape importante dans la reprise des échanges 1'0.30 : Allocution de M. Gaston BERGER, Membre de
philosophiques entre la France et l'Allemagne, et va de pair Directeur Général de l'Enseignement
avec la constitution d'un fonds Husserl à la Bibliothèque de sident d'Honneur du Colloque.
la Sorbonne. 15.30 : W. TATARKIEWICZ (Varsovie), « Réflexions
A la différence du volume sur Pascal, ou sur Descartes, ques sur l'œuvre de Husserl n.
ce nouveau Cahier aborde l'amvre d'un homme encore vivant 17.30 : W. BrnMEL (Cologne), « Les phases de la de
dans la mémoire de ses disciples immédiats, et dont la pensée Husserl d'après les inédits ,, .
se perpétue par le dépouillement de carnets de notes miracu
leusement préservés. C'est dire l'intérêt d'une rencontre qui
regroupait les héritiers directs du fondateur de l'école phé MERCREDI 24:
noménologique autour du fidèle conservateur des Archives 10.00 : D. K. KuYPERs (Utrecht), « La conception de la phi
Husserl de Louvain. Pendant huit jours, cloîtrés dans la losophie comme science Tigoureuse et les fondements
pensée du maitre, ils ont pu faire le point non seulement de des sciences chez Husserl ".
sa doctrine, mais de leurs propres divergences. Pour rendre 15.30 : H.G. GADAMER (Heidelberg), « Der Begriff des Er
compte vraiment d'une telle expérience, il aurait fallu pouvoir lebnisses bei Husserl und Dilthey ,, .
noter, outre le fruit de huit heures de travail quotidien en 17.30 : P. MERLAN (in absentia) (Oaremont), " Idealismus,
séance, tous les prolongements de ce conclave dans le parc, Realismus und Phanomenologie ,, .
à table, dans les salons du Cercle, et dans les couloirs, jus
qu'aux petites heures de la nuit.
Nous n'avons pas eu cette ambition. Contentons-nous de JEUDI 25:
remercier, en terminant, le Cercle Culturel de Royaumont,
son Président, M. Hem·y Goüin, et tout le personnel dont le 10.00 : J. WAHL (Paris), « Au sujet des jugements de Husserl
sur Descartes et sur Locke "·
dévouement fut à la mesure d'une tâche écrasante.
15,30 : A. de WAEHLENS (Louvain), << Commentaires sur l'Idée
de la Phénoménologie ».
M.-.4. BERA.
VENDREDI 26:
10.00 : S. STRASSER (Nimègue), << Misère et .grandeu:r du fait :
méditation phénoménologique n.
10 HUSSERL
15.30 : H. L. VAN BREDA (Louvain), << La réduction phénomé
nologique >>.
17.30: C.A. VAN PEURSEN (,Groningue), << La notion de temps
et de l'ego transcendantal chez Husserl».
ALLOCUTION DE BIENVENUE
SAMEDI 27:
10.00 : E. FINK (Fribourg), << Les concepts opératoires de
Husserl».
M. Gaston BERGER, Membre de l'Ins.titut, Directeur Général
15.30 : R. INGARDEN (Cracovie), Le problème de la constitu
<< de l'Enseignement Supérieur, Président du Comité des
tion et le sens de l'analyse constitutive chez Husserl».
Colloques Philosophiques de Royaumont.
1
LUNDI 29:
10.-00 : A. ScHuTz (New-York), « Das Problem der transzen Mesdames, Messieurs, mes chers Collègues, et si vous
dentalen Intersubjektivitat bei Husserl >). me permettez de le dire aussi, comment ne le dirais-je pas
15.3•0 : E. LEVINAS (Paris), « Réflexion sur la technique phéno devant tant de visages qui évoquent pour moi de chers sou
ménologique ,, . venirs, Mes chers Amis, excusez le retard avec lequel un
17 ,3,0 : A. BANFI (in absentià) (Naples), « Husserl et la crise homme dévoré vient vous accueillir dans cet asile de la pensée
de la pensée européenne >>. où tant de réunions efficaces se sont déjà tenues et où les
phénoménologues se réunissent pour quelques jours.
C'est un destin assez singulier que celui de la Phénomé
MARDI 30:
nologie. A travers le monde, il suffit de dire à un collègue
10.00 : .J. WILD (Harvard), « The crisis of European thought que l'on est phénoménologue, et l'on se trouve immédiatement
and ihe idea of Progress in Philosophy ». dans une atmosphère d'amitié. C'est peut-être parce que, au
15.30 : Discussion générale et Conclusions. lieu d'entrer dans un système clos, à la fois rassurant et
inquiétant, dans un système où l'on s'installerait pour ne
plus changer, on prend contact avec une discipline qui met
à notre disposition un certain nombre de moyens précieux
pour travailler. Peu de philosophies ont eu cette influence et
peu de philosophes peut-être ont eu cette importance. Il
n'est pas de domaine où la phénoménologie n'ait apporté son
esprit propr'e. Rassurez-vous, il n'y a pas de communication de
moi qui soit inscrite à ce programme, et il n'est pas dans
mon intention d'essayer au départ de définir l'esprit de la
phénoménologie. Disons cependant les sentiments qu'elle ins
pire à ceux qui l'abordent comme à ceux qui la vivent.
Peut-être d'abord, une grande modestie : nous savons
quelles sont les difficultés, nous ne prétendons point répondre
à tous les problèmes. Et nous ne prétendons point arriver
avec un arsenal de solutions toutes prêtes.
Ensuite, un grand désir de travailler, une grande patience.
Point de mépris pour les petites questions, ni pour les détails.
Mais au contraire la conviction que de l'examen attentif des
détails, sortira, progressivement, par notre labeur, un peu de
lumière. Un désir aussi, et c'est peut-être la chose qui frappe
12 HUSSERL ALLOCUTION DE BIENVENUE 13
Je plus, de revenir, sans vouloir prétendre définir le mot, disons que ce que nous avons à faire dans le monde, que
aux choses elles-mêmes ; à travers tous les efforts plus ou l'univers que nous avons à construire, dépendra à la fois des
moins heureux pour saisir ce dont nous sommes en quête, intentions que nous portons en nous-mêmes, et peut-être que
revenir à l'oricrinaire, revenir au solide, au concret devant nous choisissons librement et des situations dans lesquelles
lequel, très si~plement, nous chercherons seulement à dire nous nous trouvons engagés, comment ne pas voir qu'une
ce que nous voyons ; nous nous appliquerons à bien regarder humanité attentive à son destin doit écouter avec attention et
pour voir les choses telles qu'elles sont. r'econnaissance le message de la phénoménologie, puisque préci
Il y a peu de disciplines qui n'aient été fécondées par sément, c'est la vocation du phénoménologue que de dégager
la phénoménologie : Le métaphysicien impénitent y trouve les intentions et que de décrire des situations.
plus que des lumiè1·es ; le psychologue le plus attentif ~t le Que voulons-nous vraiment ? Peut-être une sociologie
plus ricroureux y trouve le moyen de renouveler les problemes intentionnelle, inspirée par la méthode husserlienne, pourra
qui se~blaient les plus épuisés, et les plus défraîchis, et i-elle nous le dire avec quelque précision. Les formes sociales
d'apercevoir, sinon des solutions toutes prêtes, au moins des sont sans doute des résultats, mais des résultats qui se trou
issues possibles aux difficultés qui sont les siennes. vent au point de croisement des circonstances et des désirs,
Le locricien doit aussi beaucoup à ces disciplines et il y des situations et des intentions.
retrouve iette rigueur, cette exigence qui font la dignité de C'est pour cela qu'en ce moment, où vous êtes réunis
la philosophie. Ce n'est pas la même chose d'être une philo dans cette Abbaye de Royaumont, pour confronter vos opi
sophie ambitieuse et d'être une philosophie exigeante. La nions, vous ne faites pas seulement un travail historique de
phénoménologie n'est pas une philosophie ambitieuse, mais haute valeur, en vous appliquant à restituer fidèlement, dans
c'est une philosophie exigeante, et même lorsque nous ne sa vérité personnelle, la pensée d'un des plus grands philo
définissons pas tous la rigueur de la même manière, même sophes de ce temps, vous donnez aussi aux hommes jeunes
lorsque nous ne convenons pas tous ensemble que tel prncédé, ou moins jeunes qui s'appliquent à construire le monde de
et seulement tel procédé est valable pour justifier nos asser demain, les moyens peut-être les plus précieux et les plus
tions, nous sentons cependant dans notre cœur à tous, la efficaces.
même exigence de rigueur. Et c'est par cette exigence même, Vous allez développer ces échanges de vues, dans des
pur ce refus de toutes les facilités habitueUe•s, que la phéno conditions singulièrement favorables : tout près de la grande
ménologie exerce tant d'emprise non seulement sur les esprits ville, assez près pour que puissent vous en venir les moyens
les plus mûrs et les plus avertis, mais aussi sur la jeunesse qui pourraient vous être indispensables ; vous en êtes
la plus ardente, car elle sait bien que ce n'e~t pas dans le défendus en même temps par une distance suffisante. Vous
chemin de la facilité que se trouveront les moissons les plus êtes dai:s une maison toute pleine de spiritualité, faite pour
fécondes. le trava1l et la méditation. Vos discussions, après les confé
Mais ce ne sont pas seulement les disciplines classiques rences, se prolongeront par ces libres entretiens, qui sont
comme la logique, comme la métaphysique, qui se trouvent le bien le plus précieux qu'on retire des rencontres de ce
renouvelées par la phénoménologie, ce sont aussi ]es sciences genre, et vous bénéficierez enfin de l'hospitalité si charmante
humaines concrètes, celles dont l'humanité, au moment grave q~e l'on a ici grâce aux hôtes qui vous y accueillent, qui ont
de sa carrière où elle se trouve, a peut-êtr·e le plus directement m1s tous leurs soins à la préparation de ce congrès. C'est
besoin. Nous ne pouvons plus nous contenter de nous tourner pourquoi je vous envie de pouvoir vivre ces journées aux
vers l'histoire, pour y trouver le modèle parfait, bien établi ~uelles il ne me sera donné que d'assister fugitivement, mais,
d'avance, de nos destinées. Nous ne pouvons pas non plus Je vous envie comme on envie des amis, en étant heureux
attendre passivement que les destins se jouent et que notre du bonheur qu'ils vont prendre.
avenir se façonne lui-même, et enfin il ne nous e1St pas per Je déclare ouvert ce •c.olloque, consacré à Husserl et je
mis de courir le risque d'essayer n'importe quoi pour voir cède maintenant la parole aux philosophes animent ces
ce que cela donne ; les instruments qui sont dans nos mains réunions.
sont trop lourds, et trop dangereux à manier, pour que la
:réflexion ne soit pas obligatoirement ce qui doit précéder les
actions que nous avons à accomplir. Et je pense que si nous
INTRODUCTION A LA CONFÉRENCE DE M. TA TARKIEWICZ 15
fut enlevée. Il ne cessa pourtant de .travailler. Nous lui devons
un volume sur « Le Bonheur >>, entreprise courageuse entre
toutes, le bonheur étant si fragile, si éphémère, qu'on hésite
presque à se servir de ce vocable ; le bonheur ne se réa
M. MINKOWSKI, Président lise que rarement ; nous aurons d'ailleurs, je pense, le privi
lège d'y accéder au cours de cette rencontre « phénoméno
logique » à Royaumont. Il écrivait également une Histoire
de la Philosophie en trois volumes, dont le troisième, allant
de 1830 à 1945, a connu un sort quelque peu particulier,
INTRODUCTION A LA CONFERENCE pour des raisons que je n'ai pas ài développer de nouveau
DE M. TATARKIEWICZ ici : bien qu'imprimé déjà, la vente en librairie en fut inter
dite. Circonstance ·curieuse et significative, l'acquision de ce
volume ne pouvait être faite que sur autorisation spéciale ;
sur les sept mille exemplaires imprimés, plus de six mille
ont été vendus de cette manière. D'ailleurs, récemment, la
Mes chers Collègues, vente du volume devenait libre en même temps qu'était
restituée à son auteur sa chaire. Et il me disait que depuis
Laissez-moi vous remercier de l'insigne honneur que ce moment il a dû déjà à deux reprises changer d'amphi
vous me faites en me confiant la présidence de cettre pre théâtre, tant l'affluence des étudiants à ses cours était impor
mière réunion de travail. Je vous suis d'autant plus recon tante. Nous partageons avec lui sa satisfaction.
naissant que de cette manière, j'ai à l'.rés~der la confé:ence Me .:retrouver à ses côtés, dans le cadre enchanteur de
faite par le pr·ofesseur Vladislas Tatark1ew1cz de Varsovie .. Royaumont, m'émeut ainsi tout particulièrement, et à cette
Vous présenter le professeur Tatarkiewicz est à peme émotion vous vous associez également, j'en suis sûr. France
utile, vous le connaissez. Je ne puis pourtant m'empeche~ Pologne, Pologne-France, patrie d'origine-patrie adoptive,
d'ajouter un détail que la majorité pa:mi vous igno~e, qm deux nations, deux âmes sœurs, de tout temps si proches
confère à ma présidence une note ~enhmentale, et. qm vous l'une de l'autre l Aux mois de novembre-décembre de l'année
explique mon émotion. Pendant hmt a~s consecubfs, de !.a dernière, je passais trois semaines en Pologne. A mon départ,
classe la plus basse jusqu'au baccalaureat, :1ous avon~ f:e on m'interrogeait sur mes impressions, je répondais : (( Voyez
quenté le même lycée de garçons à VarsoVIe. Ta!arkiew1cz vous, la Pologne, c'est la Pologne - et c'est loin d'être une
m'a demandé de ne pas vous dire en quelle annee_ cela se tautologie -, elle l'a été de tout temps et est appelée ài le
passait, et je respecte ce désir, d'autant plus volon_hers que, demeurer. >> Et à cette Pologne qui est la Pologne et qui
comme vous le constatez, iJ a l'air beaucoup plus Jeune q~e est appelée à le demeurer, pour ce qu'elle a su apporter,
moi. Effectivement il était le plus jeune de la classe, mais qu'elle apporte et apportera au patrimoine commun, en la
après tout il ne s'agit que d'une différence, à son avantage, personne des professeurs Ingarden et Tatarkiewicz, j'aimerais
de quelques mois à peine. . . , . . exprimer votre hommage, comme également à tous ceux qui
Par la suite, nos chemms devaient se separer. Lm optaü participent à cette rencontre. Car, ce qui nous tient à cœur
de suite pour la philosophie. Il se formait à l' écol~ de à tous, c'est le patrimoine spirituel commun, notre désir de
Marbourg auprès de Hermann Cohen et de Natorp ; et a ces contribuer à une destinée meilleure de l'humanité, dans la
maîtres il est resté fidèle, en élève « ouvert >> du reste - po_ur fraternité et l'union, comme le veut ce patrimoine.
employer une notion mise en évidence avec tant ?e rehef Et maintenant, il me reste encore un dernier devoir à
par Henri Bercrson - en cherchant sa propre voie et en remplir : comme vous le savez, les langues slaves ont une
poursuivant sot chemin. Entre autres, il s'est beaucoup prédilection pour les diminutifs, si caressants parfoi'l. Aussi
intéressé aux problèmes de l'art et de l'e~thétique. _Ces tr~ en me tournant vers notre conférencier, je lui dirai : Mon
vaux lui valurent rapidement l'une des chaires_ de, ph1loso~hie cher Wladzio {diminutif de Vladislas), je suis heureu(< x de
à la Faculté de Varsovie. Cet enseignement, il l assura, JUS pouvoir te donner la parole. >>
qu'au jour où, il y a quelques années, pour des rai_sons qu~
je n'ai pas à développer ici, la possibilité de continuer lm
RÉFLEXIONS CHRONOLOGIQUES 17
universitaire en qualité de Privat-Dozent à Halle. Il a obtenu
sa chaire de philosophie à Gôttingen en 1900 et, la même
année, il a publié les Logische Untersuchungen,, où il
(<
a abandonné les idées qui jusqu'à cette époque lui étaient
M. TATARKIEWICZ chères.
En il avait déjà groupé autour de lui suffisamment
d'élèves et d'adhérents pour pouvoir lancer une revue :
REFLEXIONS CHRONOLOGIQUES s«c hJuanhgrb. u" chIl af vüari t Pdhéijlào sofopnhdieé uunned écpohliei n:o ml'iednéoel odgei slcah ep héFnoor
SUR LtEPOQUE OU A VECU HUSSERL ménologie venait déjà de se répandre surtout en Allemagne,
mais aussi ailleurs. Et à cette même époque, un nouveau
grand changement doctrinal s'est opéré dans la pensée de
Husserl : il s'agit de son passage à l'idéalisme. Les ,, Jdeen
Je ne veux même pas remercier de cette allocution mon zu einer rein.en Phiinomenologie ", qui parurent en l!H3, en
cher vieil ami, pour ne pas m'attendrir, ce qui pourrait témoignent déjà. En 1916, Husserl avait obtenu la chaire
avoir de fâcheuses conséquences pour ma communication. de Fribourg ; il est resté à Fribourg jusqu'à sa mort sur
.J e veux dire avant tout que c'est avec un sentiment de gêne venue en 1938. Depuis 1928, il était à la retraite .
et d'incertitude que je prends la parole. J'avais bien l'inten Ainsi les principales dates de sa vie, en dehors de la
tion de prendre part aux débats de Royaumont, mais pas date de sa naissance 1859 et de celle de sa mort 1938 - ce
d'y faire une communication au sens propre du mot. Et c'est sont je crois les années 1884 à 1887, où il avait rencontré
avec une sorte d'épouvante que je l'ai vue inscrite au pro Brentano et avait préparé ses premiers livres, puis 1900 où
il a publié les Logische Untersuchun.gen ", et 1913 où il a
gramme. (<
ne c1Monecse rrnéfelnetx ipoanss achur ofnoonldo gHiquuseses,r l cloumi-mmeê mjee , lems aaisi alep pteelméepss, mdéajnài fegsrtoeu. pé une école et publié une revue qui en était le
où il a vécu. C'est là le sujet direct et immédiat de ces Nous savons parfaitement que toute périodisation de
réflexions. Si malgré tout je me permets de les présenter ici, l'histoire est, comme le dit le célèbre adage latin, beaucoup
c'est que je crois qu'elles pourraient servir de cadre, pour plus le prnduit de l'art que de la nature. Et cependant la
une étude de Husserl. Mais c'est tout ce que je puis pro périodi_sation de l'histoire est nécessaire ; et elle est possible.
Les faits se déroulent de façon continue, mais cette conti
mettre à mes auditeurs.
Le problème que je me suis posé était celui-ci : qu'est-ce nuité est inégale, elle englobe des changements divers. Parmi
qui s'est passé en philosophie au temps où vivait Husserl ? ces . changemen~s il y en a qui sont plus intenses et plus
Quels ont été ses contemporains? Je ne voudrais pas me profonds et qm constituent des tournants de l'évolution. On
limiter à ceux d,e ses contemporains ou de ses prédécesseurs peut, et même on doit en profiter pour tracer un tableau
qui ont influencé son œuvre, ni même à ,ceux qui ont eu de l'histoire. Ces tournants nous permettent de fixer les dates
des idées pareilles aux siennes. Ceux aussi qui ont eu des où commencent les nouvelles périodes de l'histoire. Elles ont
idées tout à fait différ•entes, ou qui se désintéressaient tout beau être des dates approximatives, et jusqu'à un certain
simplement des idées de Husserl mais qui appartenaient à point conventionnelles, elles sont indispensables pour que
la même époque, figurent au même titre dans mon propos. nous puissions avoir une idée nette du passé. Or je crois,
Je voudrais présenter, si c'était possible dans de courtes qu_e dans le domaine de la philosophie moderne, les dates
réflexions, l'attitude générale que Husserl a rencontrée pendant smvantes ont constitué des tournants de l'histoire moderne.
sa vie, l'évolution de cette attitude et les divers courants qui Ce sont - approximatives et plus ou moins conventionnelles
s'opposaient à lui. Pour savoir ce qu'a été l'époque de Husserl, je le répète - les dates suivantes : 1860, 1880, 1900, 1914'.
il faut bien se souvenir des dates principales de sa vie. J'expliquerai tout à l'heure pourquoi j'ai choisi ces dates
Husserl, comme vous le savez, est né en 1859. Il a fait comme tournants de l'histoire. Elles sont, comme vous l'avez
son doctorat en mathématiques en 18812. En 1884 il a ren rem~rqué, éloignées_ les unes des autres par des intervalles
contré et écouté Brentano. En 1887 il a commencé sa carrière de vingt ans. Ce qm en somme n'est pas étonnant, car vingt
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