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Fantastique et description chez les symbolistes
Villiers de l’Isle-Adam,
Rodenbach, Gourmont, Schwob
Tsuyoshi AINO
Introduction
Depuis les années 1950 où Castex a publié son Conte fantastique en France de Nodier
à Maupassant, jusqu’à Bozzetto, si nous nous limitons à la période contemporaine, la
littérature fantastique en France fait l’objet de nombreuses discussions chez les chercheurs et
les critiques. Toutefois, en dépit d’abondantes et érudites études, un domaine demeure encore
inexploré : celui des écrivains symbolistes.
Comme nous allons le voir dans notre premier développement, qui constitue un bilan
critique des études sur la littérature fantastique, la plupart des chercheurs ont négligé ou, au
moins, peu considéré le cas de ces écrivains dont pourtant une grande partie de la production
relève du genre en question. Soit ils ont exclu ces écrivains de la catégorie du genre
fantastique pour ménager la pureté théorique de leur définition du fantastique, comme
Todorov, soit ils les ont inclus, mais se sont cantonnés aux études historiques, en laissant de
côté l’analyse approfondie du fonctionnement du fantastique dans le texte.
Cette situation peut s’expliquer par l’intérêt porté exclusivement au narratif, et ce au
détriment du descriptif, alors qu’il s’agit précisément d’œuvres où le descriptif est plutôt
prépondérant. C’est justement ce qui nous a incité à compléter les études de nos
prédécesseurs en nous fondant sur la théorie de médiation rhétorique du Groupe (cid:1), en sorte
d’élargir l’analyse au système descriptif dans le genre fantastique. À partir de là, nous
examinerons le fantastique dans les œuvres des symbolistes, en l’occurrence, Villiers de
L’Isle-Adam, Georges Rodenbach, Remy de Gourmont et Marcel Schwob. Cette démarche
nous permettra, en outre, de préciser ce que ces trois derniers écrivains doivent, dans le
domaine fantastique, à la génération précédente, incarnée par Villiers ou Poe.
Dans la présente étude, nous allons d’abord faire une rétrospective des principaux
ouvrages portant sur la littérature fantastique depuis Castex jusqu’à Bozzetto pour examiner
leur définition du fantastique et leurs attitudes envers les écrivains symbolistes. Nous
voudrions ainsi clarifier la raison de la négligence envers ces écrivains chez certains
chercheurs. Puis, nous nous efforcerons d’élaborer une nouvelle méthode en nous fondant sur
la rhétorique générale de Groupe (cid:1). Enfin, nous examinerons les œuvres des écrivains dont
nous venons de citer le nom. Mais avant d’y procéder, nous devons justifier le choix de notre
corpus.
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Nous allons aborder dans un premier temps Villiers de l’Isle-Adam qui est un auteur
traité par beaucoup de critiques ont. Il figure sur notre liste parce qu’il nous semble se situer à
l’intermédiaire de deux systèmes prépondérants, du narratif et du descriptif, et nous pourrons
observer une interaction dynamique entre les deux systèmes. En outre, il avait une grande
influence dont nous évoquerons ultérieurement l’intérêt, sur les jeunes écrivains de l’époque.
De Villiers, nous retiendrons d’abord les Contes cruels, et nous y ajouterons quelques contes
connus comme exemplaires du genre. Nous ne pourrons pas exclure ni L’Ève future ni Axël
qui ne sont pas des contes mais qui occupent néanmoins une place importante parmi les
œuvres fantastiques de Villiers dans le sens où le premier est un aboutissement des divers
procédés fantastiques que cet auteur utilise et que le dernier nous propose un problème de
topos du fantastique.
Pour les symbolistes au sens propre1, nous avons choisi des auteurs qui ont un rapport
plus ou moins étroit avec Villiers toujours en prenant en compte les facteurs théoriques
associés : avec Rodenbach nous aborderons le problème du réalisme, avec Remy de
Gourmont et Schwob celui de la prose poétique. Remy de Gourmont n’est pas un auteur bien
étudié, ni Schwob. Pour Gourmont, nous retiendrons les Histoires magiques2, Proses moroses
et quelques autres contes. Pour Schwob, Le Roi au masque d’or3 et le Cœur double4. En
revanche, Rodenbach nous semble un peu mieux étudié. De cet auteur, nous retenons Bruges-
la-morte et Le Rouet des brumes dont le fantastique réaliste est souvent discuté.
Nous avons également pris en considération l’ouvrage collectif intitulé Le Roman
célibataire d’« À rebours » à « Paludes »5. Son corpus qui consiste de 13 romans
d’Huysmans à Gide recouvre largement les auteurs que nous traitons. Et cette étude a inspiré,
directement ou indirectement l’ouvrage récent portant sur la littérature fantastique de
l’époque comme Les Célibataires du fantastique de Nathalie Prince6. Mais, faudrait-il le
souligner, contrairement aux auteurs du Roman célibataire, nous nous intéressons au conte et
non pas au roman. Nous pensons que, devant cette « Crise du roman », la réponse que ces
auteurs (nos auteurs) ont trouvée, c’est cette forme de récit bref. Nous mettons ces écrivains
dans la lignée qui mène à Apollinaire, à Artaud ou à Yourcenar et non pas dans celle qui
merveilleux1 Pour les générations symbolistes, voir Citti, Pierre, « Symbolisme (Littérature) », CD Encyclopædia Universalis
version 7, Pais, ENCYCLOPÆDIA UNIVERSALIS S.A, 2001.
2 Gourmont, les Histoires magiques et autres récits, 1982.
3 Schwob, Le Roi au masque d'or / Vies imaginaires / La croisade des enfants, 1979.
4 Schwob, Cœur double / Mimes, 1979.
5 Bertrand, et al., Le Roman célibataire d' « À rebours » à « Paludes », 1996.
6 Prince, Nathalie, Les Célibataires du fantastique, Paris, L'Harmattan, 2002.
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mène de Gide aux nouveaux romanciers en passant par Proust. Si l’Ève future et Bruges-la-
Morte figurent dans notre corpus, c’est parce que nous les considérons comme des contes
allongés et non pas comme des romans.
Les écrivains que nous avons choisis ont tous subi une forte influence d’Edgar Poe. Il
nous semble, en effet, impossible de parler des œuvres fantastiques sans parler de Poe7.
Comme il ne s’agit pas d’une étude comparative, nous ne nous y attardons pas longtemps et
laissons les aspects proprement comparatistes de côté8 pour ne retenir que des facteurs qui
seraient essentiels pour nous. Nous aborderons à ce pour chaque écrivain.
Dans le chapitre consacré au renouveau du fantastique vers 1850, Castex écrit :
Mais l’événement principal de cette période, pour l’historien du conte fantastique,
est la diffusion en France des contes d’Edgar Poe9.
Et en comparant Poe et Hoffmann, il définit la nouveauté de Poe :
Mais il va plus loin que son devancier, car il écarte délibérément les inventions
féeriques ou légendaires auxquelles Hoffmann ne se privait pas de recourir10.
Selon Castex, Poe a eu une influence considérable sur la littérature fantastique de l’époque,
dont les écrivains symbolistes, en y introduisant un aspect plus moderne.
En France, le nom de Poe est toujours associé à celui de Baudelaire. Nos auteurs sont
aussi ses disciples en quelque sorte. Parmi les divers aspects qui auraient influencé ceux-ci,
nous aborderons à l’aspect de traducteur de Poe. Tout de même, il est à retenir de ces paroles
de Gourmont :
Baudelaire, l’un des cinq ou six grands poètes du dix-neuvième siècle, est peut-être
supérieur encore comme prosateur11.
7 Schneider, Histoire de la littérature fantastique en France, 1985, p.254, Steinmetz, La littérature fantastique, 1990, p.77.
8 Voir Lemonnier, L'influence d'Edgar Poe sur les conteurs français, 1947.
9 Castex, Le Conte fantastique en France de Nodier à Maupassant, 1951, p.102.
10 Ibid., p.103.
11 Gourmont, Promenades littéraires, 1ère série, 1904, p.370
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I. Bilan critique des études sur la littérature fantastique
Nous allons, tout d’abord, faire une rétrospective des études antérieures, à fin d’en
dégager le fondement théorique et examiner les différentes positions qu’ont adoptées les
critiques à l’égard des écrivains qui nous occupent.
Le Conte fantastique en France de Nodier à Maupassant de Castex est le point de
départ de notre discussion. Les études suivantes nous semblent, en effet, plus ou moins
orientées par cette étude. Castex a, certes, essayé de plaider pour la littérature fantastique
française contre Henri Heine :
Français, vous devriez enfin vous rendre compte que l’horrible n’est pas votre
domaine et que la France n’est pas un sol favorable aux fantômes de ce genre. Quand
vous évoquez des fantômes, nous ne pouvons nous empêcher de rire12.
Pour souligner l’importance de la littérature fantastique en France, il a été nécessaire,
peut-être, d’insister sur la différence entre le fantastique et ce que Todorov appellerait plus
tard le merveilleux13. Mais ce faisant, l’auteur a donné à la portée du fantastique deux limites,
l’une historique, l’autre théorique, étroitement liées l’une avec l’autre.
La limite historique est indiquée par le titre « Le Conte fantastique en France de Nodier
à Maupassant ». Castex évoque cependant son intention d’élargir son objectif jusqu’aux
écrivains symbolistes, voire jusqu’aux surréalistes :
De fait, Guy de Maupassant n’est, certes, pas le dernier de nos écrivains
fantastiques. Dans les années mêmes où s’accentuent les menaces qui pèsent sur sa raison
se lève une nouvelle génération de conteurs qui, fidèles à l’esprit de leur temps, cherchent
à suggérer l’existence d’une réalité transcendante. Appliquée aux dernières années du
XIXe siècle et à la première moitié du XXe, une enquête analogue à celle que nous avons
menée permettrait sans doute, entre autres résultats, de préciser la continuité historique
entre l’inspiration du symbolisme et, notamment, celle du surréalisme14.
Toutefois, cette intention n’a pas été réalisée par lui-même. Ceci est d’autant plus important
que, comme nous l’avons dit, la limite historique est étroitement liée à la limite théorique.
12 Cité par Castex, Le Conte fantastique en France de Nodier à Maupassant, 1951, p.397.
13 « Le fantastique, en effet, ne se confond pas avec l’affabulation conventionnelle des récits mythologiques ou des féeries,
qui implique un dépaysement de l’esprit. Il se caractérise au contraire par une intrusion brutale du mystère dans le cadre de
la vie réelle; il est lié généralement aux états morbides de la conscience qui, dans les phénomènes de cauchemar ou de
délire, projette devant elle des images de ses angoisses ou de ses terreurs », ibid., p.8.
14 Ibid., p.404.
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Nous pensons en effet qu’en utilisant l’expression « une intrusion brutale du mystère
dans le cadre de la vie réelle », Castex introduit en même temps une limite théorique ; en
s’attachant ainsi non pas au fonctionnement du texte mais directement au monde décrit, il
recourt, de fait, à une définition plutôt ontologique. Ici, nous voudrions mettre en question
l’implication du fait que Castex réfère au « cadre de la vie réelle ».
Premièrement, cette manière d’envisager le texte favorise le narratif au détriment des
autres composants textuels15. En insistant sur ce qui est décrit, il écarte les spécificités au
niveau de la description elles-mêmes de toute considération. Il ne reste que le narratif, ce qui
se passe dans ce monde décrit. Deuxièmement, comme il identifie ce monde décrit au monde
réel, cela nous enferme dans la notion réaliste du texte. Cette position théorique orientera plus
ou moins les études qui le suivent.
Sa limitation théorique n’est pas sans relation avec la limitation historique où il est
enfermé. D’une part, les symbolistes que nous traitons luttaient contre cette conception
réaliste de la littérature, en revendiquant un autre principe d’écrire. Nous en verrons un
exemple avec Schwob. D’autre part, comme Hamon l’indique16, la deuxième moitié du XIXe
siècle connaît un regain du descriptif. Les symbolistes partageaient cette tendance de l’époque
avec les autres. Le fait que Castex ait terminé son ouvrage avec Maupassant est très
compréhensible de ce point de vue. Maupassant aurait marqué la limite historique pour cette
conception réaliste de la littérature.
La deuxième contribution que nous examinons est celle de Caillois. Le chapitre
consacré à la littérature fantastique d’Images, Images 17 de Caillois est pertinemment intitulé
« De la féerie à la science-fiction », ce qui reflète l’intention de l’auteur d’élargir le champ
d’études jusqu’à la science-fiction qui succède à la littérature fantastique. Or, le fondement
logique reste le même que celui de Castex, en particulier s’agissant de la différence entre le
fantastique et la féerie.
La différence est éclatante, dès qu’il s’agit de fantômes ou de vampires. Certes, ce
sont aussi des êtres d’imagination, mais cette fois l’imagination ne les situe pas dans un
monde lui-même imaginaire ; elle se les représente ayant leurs entrées dans le monde
réel ; qui plus est, entrées incompréhensibles, inexpiables, invariablement funestes. Elle
conçoit ces êtres, non pas confinés dans Brocéliande ou Walpurgis, mais traversant les
15 Jean-Michel Adam admet cinq types de texte : narratif, descriptif, argumentatif, explicatif et dialogal, Adam, Jean-Michel,
Les textes : types et prototypes, Paris, Nathan, 1997, p.33. Nous voudrions souligner surtout l’importance du descriptif.
16 Hamon, Du Descriptif, 1993, p.28-36
17 Caillois, Images, Images, (Essais sur le rôle et les pouvoirs de l'imagination), 1966.
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murs de châteaux loués par devant notaire et les miroirs achetés à la salle des ventes ou
chez un brocanteur de quartier et dont la provenance demeure ainsi incertaine18.
Dans l’expression « ayant leurs entrées dans le monde réel », nous pouvons trouver la
même volonté de référer à la réalité décrite dans le texte pour distinguer le fantastique de la
féerie. D’autre part, il présente la même limitation historique. Caillois prolonge l’objectif
jusqu’à la science-fiction et en ce faisant, il marque la fin de l’époque fantastique. Il
circonscrit assez nettement le fantastique dans le temps. Après avoir énuméré les auteurs qu’il
considère comme étant fantastiques, et ce de Cazotte à Tolstoï, il écrit :
De la Russie à la Pennsylvanie, en Irlande et en Angleterre comme en Allemagne
et en France, c’est-à-dire sur toute l’étendue de la culture occidentale, la Méditerranée
exceptée, des deux côtés de l’Atlantique, en l’espace d’une trentaine d’années, de 1820 à
1850 environ, ce genre inédit donne ses chefs-d’œuvre19.
Enfin Todorov vint. Son Introduction à la littérature fantastique a suscité beaucoup de
réactions parfois négatives. À la première vue, il semble marquer une rupture nette avec les
critiques précédents, mais en fait, il s’inscrit dans la lignée directe d’un Castex y compris
dans ses défauts. Ainsi, quand ce disciple de Barthes définit le fantastique, il recourt au même
critère de la réalité que Castex.
Le fantastique, nous l’avons vu, ne dure que le temps d’une hésitation : hésitation
commune au lecteur et au personnage, qui doivent décider si ce qu’ils perçoivent relève
ou non de la « réalité », telle qu’elle existe pour l’opinion commune20.
Néanmoins, au lieu d’identifier à la réalité ce qui est décrit dans le texte, il introduit la
notion de « vraisemblance ». Dans ce sens, son attitude est plus moderne, mais la limitation
devient alors plus nette, puisque la notion de vraisemblance littéraire elle-même est une
notion historique. Todorov, lui-même, semble conscient de ce fait et écrit :
e
Le XIX siècle vivait, il est vrai, dans une métaphysique du réel et de l’imaginaire,
e
et la littérature fantastique n’est rien d’autre que la mauvaise conscience de ce XIX
siècle positiviste. Mais aujourd’hui, on ne peut plus croire à une réalité immuable,
externe, ni à une littérature qui ne serait que la transcription de cette réalité. Les mots ont
gagné une autonomie que les choses ont perdue. La littérature qui a toujours affirmé cette
autre vision est sans doute un des mobiles de l’évolution. La littérature fantastique elle-
18 Ibid., p.20-21.
19 Ibid., p.31.
20 Todorov, Introduction à la littérature fantastique, 1970, p.46.
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même, qui subvertit, tout au long de ses pages, les catégorisations linguistiques, en a reçu
un coup fatal ; mais de cette mort, de ce suicide, est née une littérature nouvelle21.
Ici, Todorov nous paraît commettre une erreur en écrivant « Mais aujourd’hui ». Déjà dans la
e
deuxième moitié du XIX siècle, les écrivains symbolistes luttaient contre le positivisme et la
conception réaliste de la littérature. Pour eux, la littérature n’était plus « que la transcription
de cette réalité ». L’époque à laquelle le fantastique qu’il définit s’applique est plus courte
e
qu’il ne pensait. D’après son critère, la littérature fantastique serait morte au milieux du XIX
siècle. Mais ceci serait de négliger tous ces contes « fantastiques » écrits par les symbolistes.
Outre cette limitation à la fois théorique et historique du domaine fantastique, Todorov
a également hérité de Castex la tendance à éclipser les autres facteurs du texte, en n’abordant
que seule question du système narratif. Selon lui, l’essentiel du fantastique réside dans
l’ambiguïté, dans l’hésitation entre deux interprétations des faits ; par conséquent, seule la
narration est prise en considération. Le récit fantastique est, pour lui, exclusivement une
narrativisation de l’explication des faits rapportés. Ainsi, il n’y a pas de place pour le
descriptif.
Cette tendance théorique est aussi celle de son époque où l’étude syntaxique du récit
faisait l’objet d’une attention particulière chez de nombreux chercheurs. Todorov lui-même a
publié sa Grammaire du Décaméron22, où il propose la classification des prédicats de la
proposition dans la grammaire du récit, à l’instar des catégories grammaticales
traditionnelles : le substantif, l’adverbe, le verbe et l’adjectif. Pour lui, l’adverbe est une
catégorie secondaire et le substantif est transformable en un ou plusieurs adjectifs. Alors, il
écrit :
Les parties du discours traditionnelles se réduisent donc à deux seulement : les
adjectifs et les verbes. Ces deux classes ne sont d’ailleurs pas irréductibles l’une à
l’autre : comme on l’a souvent noté, l’opposition entre verbe et adjectif n’est pas celle
d’une ACTION sans commune mesure avec une QUALITÉ, mais avec celle de deux
ASPECTS, probablement itératif et non-itératif. Certaines raisons toutefois nous obligent
à garder les deux catégories séparées23.
Ce n’était pas Todorov seul qui a essayé de faire une pareille classification. Dans son
« Introduction à l’analyse structurale des récits »24, Roland Barthes propose « deux grandes
21 Ibid., p.176-177.
22 Todorov, Grammaire du Décaméron, 1969
23 Ibid., p.31.
24 Barthes, Introduction à l'analyse structurale des récits, 1966
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classes de fonctions, les unes distributionnelles, les autres intégratives » 25: les fonctions et les
indices. Barthes dit de ne pas réduire « les Fonctions à des actions (verbes) et les Indices à des
qualités (adjectifs), car il y a des actions qui sont indicielles »26, mais à quelques nuances près,
nous pouvons y trouver deux séries de classes, l’une (fonction-action-verbe) correspondant à
une fonctionnalité du faire, l’autre à une fonctionnalité de l’être27 : l’une concerne la narration,
l’autre la description.
Cette manière de classification semble venir de celle de Tomachevski.
Les motifs d’une œuvre sont hétérogènes. Un simple exposé de la fable nous
révèle que certains motifs peuvent être omis sans pour autant détruire la succession de la
narration, alors que d’autres ne peuvent l’être sans que soit altéré le lien de causalité qui
unit les événements. Les motifs que l’on ne peut exclure sont appelés motifs associés ;
ceux que l’on peut écarter sans déroger à la succession chronologique et causale des
événements, sont des motifs libres28.
Le verbe ou la fonction chez les structuralistes français correspondraient aux motifs
associés et l’adjectif ou l’indice aux motifs libres. Tant que Todorov cherche la définition du
fantastique par rapport à l’explication des événements surnaturels, les motifs libres sont
négligés et seuls les motifs associés restent dans sa considération, parce qu’on peut, comme
Tomachevski le dit, écarter ceux-là « sans déroger à la succession chronologique et causale
des événements. »
De plus, selon Barthes, « les Fonctions impliquent des relata métonymiques, les Indices
des relata métaphoriques »29. D’Autre part, Jakobson relie la relation métonymique à l’axe
syntaxique et la relation métaphorique à l’axe paradigmatique30. Ainsi, nous pourrons déduire
de la prédominance de la fonction, celle de la métonymie et celle du syntaxique. Ce qui était
d’ailleurs le chemin suivit par les narratologues.
Cet intérêt exclusif à la syntaxe du récit est sans aucun doute la raison pour laquelle la
description a été si longtemps négligée rendant pauvres, par la même occasion, les
commentaires d’ordre sémantique. Il ne retient que le thème de « Je » et celui de « Tu ». Il est
compréhensible que Todorov ait voulu éviter de se perdre dans l’océan des thèmes
fantastiques, mais n’y a-t-il pas d’autres chemins à prendre ? Dans le chapitre intitulé « Le
discours fantastique », ses remarques sur un trait de l’énoncé du discours fantastique
25 Ibid., p.8.
26 Ibid., p.9.
27 Ibid., p.9.
28 Ducrot et Todorov, Dictionnaire encyclopédique des Sciences du Langage, 1972, p.282.
29 Barthes, op. cit., p.9.
30 Jakobson, op. cit., p.43-67.
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présentent un intérêt indéniable, mais nous paraissent toutefois contestables. Il s’agit de
l’usage, en effet, des figures rhétoriques. Nous aborderons ce sujet, ainsi que celui de la
poésie et l’allégorie, à la lumière de la théorie de rhétorique du Groupe (cid:1) dans le chapitre
suivant.
Pour Vax, il faudrait parler de l’avant et de l’après. Dans L’Art et la littérature
fantastiques31, il évite d’abord de proposer une définition précipitée et reste empirique :
Les dictionnaires donnent du fantastique des définitions qui tirent à hue et à dia.
Nous aborderons le problème dans la conclusion. Contentons-nous d’abord de délimiter
le territoire du fantastique en précisant ses relations avec les domaines voisins, le féerique,
le poétique, le tragique, etc. Chacun pourra lui annexer ou non telle ou telle province
contestée. Nous étudierons ensuite l’organisation interne du monde fantastique en
examinant les motifs angoissants32 .
Ici, l’idée de définir le fantastique par rapport à « ses relations avec les domaines
voisins » a un point commun avec l’idée de Todorov qui définit le fantastique par rapport aux
deux genres voisins, le merveilleux et l’étrange. Todorov hérite cette définition « négative »
de Vax avec d’autres notions qui se trouvent dans La Séduction de l’étrange33, bien qu’il les
utilise d’une autre manière34. Mais, c’est dans Les Chefs-d’œuvre de la littérature
fantastique35 que Vax exprime sa position, différente de celle de Todorov :
S’il est permis de parler du fantastique comme un genre particulier, il faut bien
convenir que la notion de genre littéraire n’est pas des plus claires. En dépit des
théoriciens, historiens et dramaturges admettent avec Racine que « comédie et tragédie
est du même genre ». Écartant donc la notion de genre, nous distinguerons ces formes
littéraires que sont le sonnet, la ballade, le roman ou la nouvelle, et ces catégories ou
valeurs esthétiques que constituent le tragique, le comique, le fantastique ou l’élégiaque36.
Dans ce passage de la section intitulée « Le fantastique genre littéraire ou catégorie
esthétique », en définissant le fantastique comme une catégorie esthétique, Vax s’oppose
manifestement à Todorov qui le définit comme un genre littéraire. Cette position le distingue
de Castex, de Caillois ou d’autres chercheurs qui considèrent le fantastique sous le même
angle de Todorov.
31 Vax, L'Art et la littérature fantastiques, 1960
32 Ibid., p.5. Mais ses définitions du fantastique dans la conclusion ne nous semblent pas très précises.
33 Vax, La Séduction de l'étrange. Étude sur la littérature fantastique, 1987. Cet ouvrage a été publié d’abord en 1967.
34 Par exemple, la notion de l’« ambiguïté » ou celle du « surnaturel ». Le chapitre intitulé « Le Mystère et l’Explication »
nous intéresse, parce que l’ambiguïté chez Todorov existe entre deux explications.
35 Vax, Les Chefs-d'œuvre de la littérature fantastique, 1979.
36 Ibid., p.33.
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Description:Il nous semble, en effet, impossible de parler des œuvres fantastiques sans parler de Poe7. Comme il ne s'agit pas d'une étude comparative, nous ne nous y attardons pas longtemps et laissons les aspects proprement comparatistes de côté8 pour ne retenir que des facteurs qui seraient essentiels p