alsace alma mater stud

87 Pages·2013·0.72 MB·French

1

ARISTOTELEION
 PANEPISTIMION
 THESSALONIKI

UNIVERSITÉ
 DE
 HAUTE-­‐ALSACE

ALMA
 MATER
 STUDIORUM
 -­‐
 UNIVERSITÀ
 DI
 BOLOGNA

Master
 Erasmus
 Mundus
 en

Cultures
 Littéraires
 Européennes
 -­‐
 CLE

INTITULÉ
 DU
 MÉMOIRE

Littérature
 de
 la
 migration
 en
 France
 :
 le
 cas
 de
 Trois
 femmes
 puissantes
 de
 Marie

Ndiaye

Présenté
 par

Mame
 Birame
 Diouf

Directeur

 Prof.
 Georges
 Fréris

 Co-­‐directeurs

 Prof.
 Peter
 Schnyder

  Tesi
 di
 laurea
 in

 Prof.

 Anna
 Soncini

 Letterature
 francofone

2010/2011
2

Sommaire
Introduction………………………………………………………………………..……………….4
1.Historique
 :
 l’écriture
 migrante……………………………………………………………………………………….……….8

a.
 Théorie
 littéraire
 de
 l’écriture
 migrante……………………………………………………………………………………..8

b.
 Récits
 migration
 européenne
 vers
 la
 France………………………………………………………………………………16

c.
 Migration
 coloniale
 et
 post
 coloniale…………………………………………………………………………………………19

d.
 Inter
 culturalité,
 multi
 culturalité
 et
 Trans
 culturalité…...............................................................

 25

2.
 Approche
 sociologique……………………………………..…………………………………………………………………

 33

a.
 Quelques
 caractéristiques
 du
 roman
 de
 la
 migration………………………………………..………………………33

b.
 Mythe
 de
 l’Europe………………………………………………………………………………………….…………………………34

c,
 Espace
 et
 migration…………………………………………………………………………………..………………………………39

d.
 Intégration
 identité
 et
 conflits………………………………………………………………………………….……………….43

3.
 Trois
 femmes
 puissantes………………………………………………………………………………….……………………48

 a.
 Migration
 et
 modernité………………………………………………………………………………………………………….…48

 b.
 Interprétation
 et
 analyses
 textuelles…………………………………………………………………………………………54

 c.
 Le
 flamboyant
 et
 l’oiseau………………………………………………………………………………………………………….58

 d.
 Etude
 des
 personnages………………………………………………………………………………………….…………………60

e.
 Famille
 et
 migration…………………………………………………………………………………………………………..………65

f.
 Migration
 et
 conditions
 feminines……………………….………………………………………………………………..…..67

g.
 Les
 procédés
 et
 techniques
 narratives………………………………………………………………………………….…..80

Conclusion…………………………………………………………………………………………………………………………………….82
3

Introduction

Ce retour fugitif dans le passé récent tempérait l’exil, adoucissant un
instant la nostalgie tenace et ramenait les heures claires et chaudes
que l’on n’apprend à apprécier qu’une fois que l’on en est loin.1

L’Europe n’est pas étrangère à la production littéraire sur la migration car depuis des siècles les
auteurs européens les plus influents au monde ont produit leur texte en situation d’exil (ou sur l’exil)
de Homère à Virgile en passant par Dante; leurs personnages suivent tous le même trajet d’un
nomade qui erre d’un lieu à un autre pour grimper les échelons de la sagesse en fonction d’un
trouble à l’ordre moral de sa conscience ou emprunte le chemin de la déchéance, présenté comme
conséquence de la cruauté humaine2.
Du reste, pour Aristote dans la mythologie grecque l’exilé était soit pris pour un dieu soit pour une
bête. Au XXe siècle des écrivains tels que James Joyce, Rainer Maria Rilke, Brecht ou les
théoriciens comme Gyorgy Lukacs, Adorno et Hannah Arendt, analysent avec acuité la question de
l’exil et deviennent, dès lors, à l’image des classiques précités, les Muses de l’écriture de la
migration tandis que, la littérature postcoloniale consacre des archives encyclopédiques sur la
condition de l’exilé considérée finalement intrinsèque à l’expérience de la modernité. Comment
analyser l’écriture migrante européenne et africaine ? Quel rôle joue Paris ?
De nos jours, à un niveau avancé le décor littéraire change constamment sur des modes de
représentations différentes qui reflètent l’univers des multiples facettes du monde dans lequel nous
vivons. Pour autant, une recherche orientée vers une élaboration d’une histoire littéraire ou d’une
reconstruction historique de la littérature francophone ou française s’intéressant au phénomène
identitaire et traitant de manière spécifique la question de la migration de l’émergence de la
littérature postcoloniale à l’écriture « métissée » ou « hybridée » pourrait aboutir à une meilleure
appréhension des enjeux littéraires. Quelles sont les structures artistiques qui articulent le roman de

1
 B.
 Diop
 Les
 contes
 d’Ahmadou
 Kumba,
 Présence
 Africaines,
 Paris
 1969,
 p.
 10

2
 Les
 germes
 de
 la
 littérature
 de
 l’exil
 sont
 à
 trouver
 dans
 les
 œuvres
 classiques
 qui
 continuent
 de
 servir
 la
 postérité.
 On
 peut

parler
 d’une
 poétique
 de
 l’exil
 chez
 Ovide.
 Voir
 l’article
 d’Emile
 Ndiaye
 La
 rhétorique
 de
 l’exclusion
 à
 soi
 dans
 les
 tristes
 et
 les

Pontiques
 d’Ovide
 In

 «
 Poexil
 »
 Actes
 du
 colloque
 «
 Temporalités
 de
 l’exil
 ».
 En
 parlant
 d’Ovide
 le
 professeur
 Emile
 Ndiaye

revient
 sur
 les
 sources
 de
 l’écriture
 ovidienne
 :«
 La
 matière
 littéraire
 va
 servir
 d’exutoire
 à
 ses
 souffrances
 et
 ses
 deux
 recueils

poétiques,
 Les
 tristes,
 publié
 vers
 10,
 et
 Les
 pontiques,
 dont
 le
 dernier
 livre
 est
 sans
 doute
 posthume,
 expriment
 à
 ses

correspondants
 la
 dépossession
 de
 soi
 vécue
 progressivement
 par
 le
 poète.»
4

la migration ? Quel rôle jouent les auteurs contemporains issus de l’immigration dans la
mondialisation. Constituent-ils des phénomènes ou des épiphénomènes de la littérature française ou
francophone ?
Toutefois, l’on sait que, le roman de la migration utilise un espace temporaire, discontinu et non
idéalisé : c’est une écriture hors lieu. L’idéalisation de l’espace imaginaire tache de conquérir les
lieux et d’en vaincre les limites frontalières. Ils transportent le lecteur et l’incite à la mobilité
comme condition sine qua non de la maturation.
La thématique du voyage s’inspirant du vécu quotidien du migrant qui erre souvent dans un espace
emblématique témoigne de l’ambigüité d’une appartenance. Et les personnages de l’écriture
migrante, divisés entre plusieurs cultures, sont perpétuellement en quête d’une identité qui parait
souvent insaisissable tout comme l’altérité.
Pour le cas de l’Afrique, dans un contexte colonial et postcolonial, l’on est donc passé du
mouvement de la négritude qui revendique un enracinement aux valeurs traditionnelles et une
ouverture aux valeurs occidentales modernes à un genre plus réaliste, visant à exorciser l’exil et,
dans un contexte de la vague migratoire vers l’Europe, qui prend ses origines dans l’hybridation,
puisque le sort de l’étranger concerne aussi bien le pays d’origine que le pays d’hôte.
Ce changement de statut n’a-t-il pas un impact sur l’écriture migrante que nous pouvons aussi
désigner par le terme littérature-monde qui énonce en même temps l’universalité de l’œuvre de Jean
Marie Le Clezio, prix Nobel de la littérature en 2008 et membre de l’association des 44 écrivains
issus d’horizons divers signataires du Manifeste Littérature-monde ?
L’ouvrage, realisé par des universitaires de Bologne, La lingua salvata scrtture tedesche dell’esilio e
della migrazion3, nous a inspiré et nous a incité à entreprendre une étude littéraire sur la migration
en France. Du reste, dans ce recueil d’essai, Darko Suvin reprend une citation de Edward Said,
dans son article intitulé « Esiliati e migranti. Le riflessioni di Said e l’appello di Brecht »4, pour
élucider la théorie selon laquelle l’intellectuel (cosmopolite) doit se projeter dans le futur(dans la
projection d’un monde meilleur) pour y chercher des racines dans lesquelles il pourra trouver une
attitude tolérante envers le présent. Il nous rapporte ces propos de Said qui situent en quelques
mots la dimension cosmopolite du migrant, lorsqu’il affirme que l’exilé:

3
 La
 langue
 sauvée,
 écritures
 allemandes
 de
 l’exil
 et
 de
 la
 migration

4
 Exilés
 et
 migrants.
 Les
 réflexions
 de
 Said
 e
 l’appel
 de
 Brecht
5

sa che in un mondo secolarizzato e in balia della contingenza le case sono sempre provvisorie. I confini e
le barriere che delimitano la sicurezza di un territorio familiare possono anche trasformarsi in prigioni, e
sono spesso difese oltre ogni ragionevole necessità. Gli esiliati attraversano confini, infrangono le barriere
del pensiero e dell’esperienza. 5
Par conséquent, notre orientation nous amène, toutefois, à estimer que l’œuvre Trois femmes
puissantes de Marie Ndiaye, s’inscrit parfaitement dans ce champ littéraire et que, tout en répondant
aux critères d’hétérogénéité qui définissent l’écriture migrante, constitue une innovation singulière
dont l’excentricité des techniques narratives réussit bien à cadrer l’épineuse question du phénomène
de la migration dans le contexte de la postmodernité.
Pour mieux éclairer les lanternes dans cette recherche, nous voulons nous préserver de toute
confusion en précisant qu’on entend par migration, et pour fixer les limites de notre réflexion, tout
déplacement lié à l’exil, l’immigration/émigration, l’exode et l’errance et, à titre d’exemple, de
l’Afrique vers l’occident ou vis versa tel qu’incarne l’imaginaire romanesque de l’ingénieuse
écrivaine française Marie Ndiaye, de père sénégalais et de mère française. Nous retenons qu’il y a
des nuances entre récit de voyage, récit de migrant. Par contre, nous estimons que les deux formes
de récits peuvent être analysées dans le même champ d’étude pour une théorie littéraire de la
migration (des africains vers la France).
Avec une faible dose autobiographique, dans son dernier roman, Marie Ndiaye décrit pour la
première fois, non les rapports tantôt ardus tantôt flexibles entre deux cultures différentes
auxquelles elle appartient mais, l’énigme de la confrontation, de l’appartenance et même de la
complexité de l’enracinement/déracinement. A cet effet elle convoque incessamment la mémoire
affective qui est le moteur même de la narration du récit. Cette forme de narration dévoilerait la
subjectivité du narrateur par l’insertion à petit jet du « je » et confirme selon les situations présentes
les émotions et les impressions des personnages qui évoluent, comme elle, dans un univers
hétérogène.
L’étude sociologique guidée par le regard jeté sur le microcosme de la famille mixte entre deux
mondes qui partagent un passé colonial et ,sur les conditions de voyage fait de ce roman une œuvre

5

 AA.VV
 La
 lingua
 salvata.
 Scritture
 tedesche
 dell’esilio
 e
 della
 migrazione,
 Edizioniosiride,
 Rovereto,
 2008,

 p.19

…sait
 que
 dans
 un
 monde
 laïcisé
 et
 à
 la
 merci
 de
 la
 compensation
 les
 maisons
 sont
 toujours
 provisoires.
 Les
 conflits
 et
 les

barrières
 qui
 délimitent
 la
 sécurité
 d’un
 territoire
 familier
 peuvent
 aussi
 se
 transformer
 en
 prison,
 et
 sont
 souvent
 défendues

au-­‐delà
 de
 toutes
 nécessités
 raisonnables.
 Les
 exilés
 traversent
 les
 frontières,
 franchissent
 les
 barrières
 de
 la
 pensée
 et
 de

l’expérience.
6

majeure. A titre d’exemple, ce roman s’articule sur les trois aspects équivoques de la vie des
migrants qui s’interposent et s’imposent au quotidien: l’identité, l’intégration et le conflit culturel.
A notre sens Trois femmes puissantes reflète en même temps la diversité culturelle à laquelle les
sociétés modernes sont confrontées. L’œuvre montre à quel point le poids de l’histoire peut peser
encore, de nos jours, sur la vie des « exilés ». C’est un récit qui laisse entendre des échos satyriques
car, elle dénonce l’attitude de ceux-là, principalement les hommes qui ne sauraient pas affronter les
exigences des sociétés modernes : le père de Norah, épris de tyrannie, quitte sa femme pour
retourner au Sénégal, le mari blanc de Fanta, imbu de remords, rentre en France ou’ il est dépaysé,
et Khady Demba victime d’une double trahison de la part de Lamine et des gardes frontalières rend
courageusement l’âme. Bref, elle répertorie, ainsi, dans le microcosme de la famille des cas de
dérives que certaines femmes auraient subi. Que pouvons nous entrevoir au-delà du féminisme de
Marie Ndiaye sinon que les hommes aussi bien que les femmes sont privés de protection et de
refuge dans une société (universelle) qui propose d’autres valeurs ?
Afin de définir des études de perspectives relatant la spécificité du caractère hétérogène de ce roman
que forment trois récits distincts, nous nous proposons de mener des analyses de textes qui prendront
en compte d’autres œuvres d’auteurs tels que Edouard Glissant, Assia Djebbar, parmi d’autres.
Il ne sera, donc, pas superflu d’identifier les schèmes nous permettant de mieux appréhender les
enjeux qui découlent d’une telle étude littéraire si l’on constate que la question de la migration nous
interpelle car sa récurrence dans la république des lettres ne confirme pas seulement une
conjoncture sociale mais aussi une évolution de la littérature française.
Ainsi ne nous parait-il pas inopportun de nous pencher sur les pertinentes théories qui, à notre sens,
mettent plus en valeur le sens purement humaniste et éthique de l’art. Parmi ces théories nous en
retenons essentiellement deux : celles proférées par la psychanalyse et la sociologie. En quelques
mots, la psychanalyse permet de créer un lien entre le texte et l’être et nous définit la littérature
comme une cure tandis que la sociologie renvoie au rapport entre l’être et la société. Nous portons
un grand intérêt dans la relation entre l’ambigüité de l’être et l’évolution de la société puisque nous
estimons que cette relation est l’essence même de l’art.
En partant de ce postulat, nous essaierons de nous atteler à reconstruire une genèse de la littérature
de la migration en Europe d’abord puis en Afrique en choisissant évidemment la France comme
7

point de repère pour illustrer les spécificités des romans contemporains puisque l’on espère que
cela nous amènera à présenter un résultat qui nous permettrait de mieux s’approprier le principe de
l’inter culturalité avant d’aboutir à l’analyse textuelle du roman de Marie Ndiaye, Trois femmes
puissantes, ce cheval de Troie qui pourrait lui ouvrir la porte du panthéon de la littérature
universelle.
8

1. Historique : l’écriture migrante

a. Théorie litteraire de la migration

Sur le plan physique, la délimitation des territoires artificiels suivie des invasions et des conquêtes
auraient provoqué le déplacement des peuples ou des individus tandis que sur le plan psychologique
l’errance et l’exil demeurent un phénomène intrinsèque à la vie.

En revisitant l’histoire de l’humanité nous nous rendons compte que la mélancolie tout comme la
dépression est à la base de la création intellectuelle. En réalité, la mélancolie qui touche l’être dans
sa propre société peut rendre complexe notre définition de l’exil et de la migration car, on peut
effectivement être exilé chez soi. Mais nous nous contentons de la situer dans un espace binaire qui
relie l’Ici à l’Ailleurs incluant les causes morales et physiques qui la caractérisent. En effet dans
l’analyse du phénomène d’exil, on aperçoit de prime abord les causes de la situation inconfortable
dans laquelle se trouve le migrant : on pourrait identifier dans son propre univers la crise marginale,
la nostalgie, la solitude. Ces facteurs dégradants à l’encontre de l’être le conduisant même aux états
de dépression les plus lamentables, seraient plus éprouvés en situation d’exil et ont interpellé
certains auteurs et les ont poussés à tisser un lien entre l’art et la réalité en tentant d’identifier les
facteurs qui peuvent engendrer de telles situations.

« Aristote associe en effet exposé scientifique et références mythiques en liant la mélancolie à l’écume
spermatique et à l’érotisme et en se référant explicitement à Dionysos et à Aphrodite (953b31-32). La
mélancolie qu’il évoque n’est pas une maladie du philosophe, mais sa nature même, Son ethos. Elle n’est
pas celle qui frappe le premier mélancolique grec, Bellérophon, que nous présente l’Iliade (VI , 200-
203) : « objet de haine pour les dieux, il errait tout seul sur la plaine d’Aleion, le cœur dévoré de chagrin,
évitant les traces des hommes. » autophage parce qu’abandonné des dieux, exilé par le décret divin, ce
désespéré était condamné non pas à la manie, mais à l’éloignement, à l’absence, au vide…avec Aristote,
la mélancolie , équilibrée par le génie, est coextensive à l’inquiétude de l’homme dans l’être. »6

6
 Julia
 Kristeva,
 Soleil
 noir,
 Dépression
 t
 mélancolie,
 Gallimard
 Paris,
 1987,
 p.17
9

Les réflexions de Julia Kristeva dans Soleil noir arrivent à diagnostiquer la maladie de l’angoisse
qui stimule la philosophie et même l’art dans le contexte de déplacement des objets et des choses.
Ce point de vue psychanalyste de l’art et de la philosophie soulignent la recherche de l’affection
entrainée par une surabondance d’humanisme. Derrière les œuvres majeurs qui ont marquées
l’histoire se cache la pathologie créative c'est-à-dire « la maladie de la douleur » .
En réalité il nous semble donc superflu de tenter de voir les origines de l’écriture migrante ailleurs.
En d’autres termes les peuples s’installent dans les déplacements et les rencontres motivés par des
raisons sociales, économiques, politiques ou religieuses.
A titre d’exemple nous pouvons indiquer l’exode interminable du peuple juif de l’Egypte
pharaonique sous la conduite de Moise vers une terre promise. Mais les cas récents sont aussi
nombreux : le déplacement en masse du peuple arménien, la fuite du génocide rwandais etc… Dès
lors, si la littérature est le reflet de la société, l’écriture de la migration, donc, a toujours existé , du
moins ce serait le point de vue de la sociologie de la littérature. Et qu’est ce qui caractérise cette
littérature de la migration ?
En partant de la nouvelle Odyssée d’Homère un des premiers textes de la littérature classique
occidentale, on y décèle déjà tout le sens d’un voyage voilé par les archétypes de la mélancolie. Au
fond le voyage tel qu’on nous le présente dans cette nouvelle est perçu comme une exploration des
profondeurs de l’âme dans le labyrinthe des métamorphoses : les personnages y jouent un rôle
essentiel car ils sont découverts petit à petit par rapport au déplacement de Ulysse caractérisé par
des rebondissements fulgurants et multidimensionnels dans les relations équivoques d’échanges et
de contact qui témoignent de l’impossible retour à Ithaque du personnage principal. L’Autre y prend
une dimension fondamentale en ce sens qu’il permet de réaliser une interposition de valeurs: il rend
compte des regards croisés qui nécessitent impérativement des confrontations au sens humaniste du
terme.
Toutefois il nous incombe de rappeler l’essence du roman grec tel qu’il est définit par Michail
Bakhtine dans son Esthétique et Théorie du roman :

« Mais il ne s’agit pas uniquement de l’organisation de chaque aventure. C’est le roman lui-même qui est
conçu dans son entier comme une mise à l’épreuve des héros. Nous savons que le temps des aventures du
roman grec ne laisse de traces, ni dans le monde ni sur les êtres. Aucune modification d’ordre externe ou
interne ne résulte de toutes ces péripéties. L’équilibre initial, rompu par le hasard, est rétabli vers la fin du
roman. Tout revient à son commencement, se remet en place. Pour clore un très long roman, le héros
10

épouse sa fiancée. Néanmoins, hommes et objets ont passé par quelque chose qui, il est vrai, ne les a pas
transformés, mais en revanche les a confirmés si l’on peut dire, les a vérifiés, à établir leur identité avec
eux même, leur fermeté et leur constance. Le marteau des événements ne broie ni ne forge rien : il ne fait
qu’éprouver la solidité du produit fabriqué. Et ce produit supporte l’épreuve. C’est le sens littéraire et
idéologique du roman grec. »7
De nos jours s’exprime le même procédé de narration qui, dans le roman de la migration, veut
mettre le héros à rude épreuve en le balançant d’un lieu à un autre pour prouver soit les forces soit
les faiblesses de l’étranger tout en esquissant une peinture d’une société.
La recherche d’un tableau vraisemblable soutenu par un langage impartial caractérise le roman de
Marie Ndiaye. Tous les éléments du discours sont guidés par une dynamique qui pousse à mieux
comprendre l’univers spatio-temporel des personnages. L’intérieur et l’extérieur sont explorés.
L’espace et le temps y jouent un rôle déterminant. Au delà des actions attribuées aux personnage, ils
ont une fonction symbolique et sémantique qui ne laissent aucun détail insignifiant dans le texte.
Pour ce qui concerne les héroïnes, Dans trois femmes puissantes Marie Ndiaye semble persister dans
ce même sens abordé par Bakhtine. Elle nous présente un contrepoint c'est-à-dire un texte dans le
texte ou une partie conclusive de l’intrigue qui aurait pour fonction de marquer une réconciliation
des héroïnes avec elles-mêmes malgré les situations scabreuses auxquelles elles sont toutes
soumises. C’est ainsi que le narrateur arrive à créer ses héroïnes décrites entre la souffrance et le
pardon et évoluant dans une société qui agit fortement sur elles:

« c’est d’ailleurs, ce que révèle à la fin de chaque récit le contrepoint final qui laisse, pour
quelques lignes, la parole à un autre personnage. Ce déplacement du point de vue confirme la
force ambiguë de ces trois femmes, la capacité d’endurance qu’elles opposent au monde qui les
écrase un monde auquel elles redonnent ainsi tout son pouvoir énigmatique. »8

En substance, la littérature de la migration veut donner au lecteur la possibilité d’explorer les
rapports de force relevant de la pluralité de la culture. Elle s’interpose dans le débat concernant la
problématique de la notion de nation à la croisée des cultures pour mieux défendre les concepts
d’hybridation. Comment définir le concept de nation ?9 voici une question à laquelle s’intéresse
implicitement l’écriture de la migration. La plus part des textes proposent ou exposent des modèles

7
 Mikhael
 Bakhtine,
 Esthétique
 et
 théorie
 du
 roman,
 Gallimard
 1978,
 p257

8
 Dominique
 Rabate
 «
 Marie
 Ndiaye,
 la
 passion
 de
 l’étrange
 »
 in
 Les
 dépêches
 de
 Brazzaville,
 supplément
 littéraire
 p.2.3
 voir

en
 ligne
 http://www.brazzaville-adiac.com/medias/dossiertele/suplit7.pdf

9
 Les
 recherches
 récentes
 menées
 par
 Julia
 Kristeva
 tendent
 à
 y
 répondre
 et
 offrent
 des
 perspectives
 d’analyse
 des

phénomènes
 d’identités
 plurielles.